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5e jour de convoi. On est rôdé. Petit déjeuner roboratif, café, briefing général et c’est reparti. Le ciel facétieux hésite entre averse et éclaircies. L’étape du jour est plutôt courte au compteur, 36 kilomètres le matin et une petite vingtaine l’après-midi, mais relevée par des reliefs constants. La route vallonée traverse des bourgades endormies aux noms évocateurs comme « la Rouge », ou passe devant une longue cheminée ôcre entourée de batiments industriels désaffectés au-dessus d’une rivière. Sa vision pique l’imagination des cyclistes qui y voient le temps d’un battement de cil, un fabuleux lieu à occuper pour lui donner une seconde vie. Mais Paris nous attend ! Le serpentin de vélos scindé par les tracteurs s’étend sur plusieurs centaines de mètres, et maintenir la cohérence de l’ensemble n’est pas une mince affaire. Au détour d’une route, les tracteurs disparaissent pour aller faire le plein de rouge dans une ferme de soutiens paysans. Dans la voiture de tête, une petite bouille coiffée d’une chapka sort sans cesse par la fenêtre et s’accroche au mégaphone, invitant les badauds à nous suivre jusqu’à la capitale et lançant des chansons détournées faites de refrains griffonés pendant les pauses pipis.
Nous nous arrêtons à midi dans un « foyer rural » à l’imposante façade. A l’intérieur une salle en parquet, faite pour accueillir confortablement des centaines de personnes, avec au fond un grande scène et d’épais rideaux rouges. Ces espaces, nés dans les années 30 comme alternative laïque aux activités paroissiales, ont accueilli pendant des décennies les fêtes, repas, célébrations et réunions de la commune et du monde agricole. Dans un monde où les campagnes se vident et où chacun passe beaucoup plus de temps enfermé derrière des écrans qu’en rencontres avec les voisins, nos hôtes nous expliquent que les foyers ruraux ne sont évidemment plus aussi vivants. Ce midi en tout cas celui qui nous accueille vibre fort de notre présence. De nouveaux conducteurs de tracteurs arrivent et prennent le relais de ceux qui repartent pour assurer le travail à la ferme.
Surprise, surprise ! La préfecture d’Eure et Loir, qui nous avait signifié hier qu’elle interdisait toute manifestation sur son territoire nous recontacte pour nous expliquer qu’elle ne considère pas notre convoi come une manifestation. Elle s’engage même à le laisser passer. Un nouvelle étape de gagnée ! La nouvelle, transmise à midi dans la salle du foyer rural est accueillie par des cris de joie et des frappes en rythme sur les tables.
Nous apprenons en pédalant, plus tard dans l’après-midi, que les invitations à braver l’Etat d’urgence se multiplient sous diverses formes. Les amies de Paris nous racontent que les 58 personnes convoquées au commissariat, suite à la manifestation de soutien aux sans-papiers de dimanche à Paris, se sont réunis lors d’une assemblée ouverte. Ils ont annoncé refuser collectivement de se rendre à la police. Ils appellent à manifester de nouveau dimanche 29 novembre. C’est aussi le cas de l’assemblée parisienne anti-cop 21 (http://anticop21.org/ils-nous-cachent-le-soleil-4138?lang=fr) ou d’un collectif d’écrivains et militants (https://lundi.am/Bravons-l-etat-d-urgence-retrouvons-nous-le-29-novembre-place-de-la-Republique). La coalition climat 21 appelle quant à elle à former une grande chaîne humaine entre République et Nation pour maintenir une présence dans la rue…(http://www.solidaires.org/Etat-d-urgence-climatique-une-chaine-humaine-pour-un-Climat-de-paix)
Notre groupe d’accueil en Ile de France nous confirme néanmoins dans l’après-midi que la Préfecture de Paris n’a aucune intention de laisser notre convoi s’approcher de la capitale et qu’ils considèreront tout attroupement de notre fait de plus de 2 personnes comme une infraction à l’interdiction de manifester. L’Etat d’urgence donne décidemment des ailes orwelliennes à certains. Saclay, terres menacées où nous devions converger avec les autres convois vendredi soir est d’ailleurs en train de se transformer en zone militarisée. Nos dirigeants ont l’air d’y être obsédés, entre autres, par le spectre de la naissance d’une zad en région parisienne. Les personnels du campus Supélec sur le plateau de Saclay ont reçu un mail leur mettant à disposition un contact de délation des « comportements et actions suspectes ». Extrait de la missive en question: « Le Plateau de Saclay sera particulièrement concerné en ce que plusieurs mouvements de contestation ont décidé d’en faire leur base de convergence et de repli, en marge des manifestations parisiennes. Cette contestation peut revêtir des actions violentes et s’enraciner pour une longue durée sur les zones choisies alors appelées « zones à défendre » (ZAD). Aussi, les pouvoirs publics ont-ils dû prendre en compte les considérations d’ordre public qu’engendrera cet état de fait, en lien avec les responsables des établissements et des nombreux chantiers en cours sur ce territoire. (lien plus complet là)
Nous arrivons vers 17h à Préaux-sur-perche, en plein parc naturel du Perche, dans une nouvelle salle des fêtes. Ce soir encore, nous avons droit à 200 places au chaud chez des habitants. Les cantines, qui nous ont précédés, sont depuis quelques heures déjà en plein marathon culinaire. Après le goûter, un colporteur fait la criée du jour et lit les différents petits mots glanés au sein du convoi pendant la journée. Tout s’y mêle : petites annonces, blagues, coups de gueules politiques, mots d’amour et accès de poésie subite.
Le soir, l’une de nous entre en contact avec la Préfecture des Yvelines pour connaître ses intentions. C’est le premier département d’île de France que nous devons traverser vendredi matin après l’Eure et Loir. Le cabinet du Préfet nous dit tout net qu’il considère pour son compte que notre convoi est bel et bien une manifestation. Notre émissaire lui répond qu’ils n’ont pas l’air de s’accorder sur les définitions avec la Préfecture d’Eure et Loir et l’informe à nouveau de notre volonté d’emprunter les routes d’Ile de France..
Au vu des pressions et de l’imminence de notre arrivée, nous avons décidé de prendre le temps de faire une assemblée avec tout-e-s les participant-e-s au convoi. Certain-e-s d’entre nous se connaissent bien, ont l’habitude de lutter de conserve ou ont participé depuis plusieurs mois à l’organisation de la tracto-vélo. D’autres nous ont rejoint au départ samedi matin et se sont impliqués en cours de route. Ce qui est sûr, même si des visions diverses sur la suite du convoi sont en débat, c’est que la pérégrination commune a soudé le groupe en quelques jours. Pour confronter nos point de vues, nous passons d’abord par un échange d’infos, avant de se retrouver en groupe d’une quinzaine de personnes pendant ¾ d’heure. Chaque groupe expose ensuite, en quelques phrases, à l’assemblée de nouveau réunie les scénarios qu’il a retenus, ses limites et désirs. Des plans communs commencent à prendre forme et vont rester en discussion. Ce qui est certain, c’est que personne n’a envie de soumettre docilement à ceux qui veulent profiter de la situation pour interdire toute contestation. Et nous sommes sûr-e-s aussi de vouloir se tenir ensemble jusqu’au bout et de clôre notre équipée par un grand banquet.
Le convoi Cap sur la Cop ira-t-il jusqu’en Ile de France, voire jusqu’au bout du monde de nos rêves ? Vous le saurez bientôt. Et si l’histoire s’accélère, jetez des coups d’oeils sur http://marchesurlacop.noblogs.org où se trouveront des nouvelles en direct…et préparez vous à nous rejoindre !