Jour 2 du convoi de l’Est : entre la ZAD du Tronçay et l’Actipôle, une journée du Tonnerre !

Discussion matinale sur la ZAD du Bois du Troncay : histoire de la lutte contre Erscia.

Après une bonne nuit passée chez les ami.e.s du Morvan, on a le bonheur de se lever au beau milieu des prairies morvandaises couvertes de givre et nimbées de la lumière hivernale du soleil matinal. Après un copieux petit déjeuner, on part direction le site de la ZAD du Bois du Tronçais pour une discussion/témoignages sur la lutte victorieuse contre le projet Erscia de scierie industrielle/co-générateur électrique à partir de déchets industriels.

IMGP0424On arrive sur la zone de lutte, à l’orée d’une jolie forêt de feuillus située juste à côté d’une petite prairie. « C’est une forêt qui est situé sur une zone karstique avec une forte infiltration vers les nappes phréatiques souterraines, une zone cruciale pour la gestion des eaux… qu’ils voulaient raser pour faire leur scierie. » Les copain.e.s nous partagent leur expérience pendant 2 bonnes heures, tandis que le bois résonne des cris des enfants qui s’activent et d’un chien qui a joyeusement décidé de prendre en chasse la totalité des bois morts qui jonchent le sol. Un enregistrement de la discussion a été réalisé et sera bientôt mis en ligne, des extraits seront diffusés sur Radio Campus Dijon, et on essaiera aussi de faire un compte-rendu un peu plus conséquent de ce qui s’est dit.

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Ce qu’on peut déjà dire de cette chouette discussion, qui nous a captivé malgré le froid qui engourdissait peu à peu nos pieds, puis nos jambes, etc, c’est que l’émotion et la détermination sont toujours très présentes, sensibles dans les voix de nos ami.e.s qui parfois se brisent à l’évocation des moments forts de la lutte, de la force commune et joyeuse qui a décidé de résister et de se réapproprier ce bout de territoire pendant des mois. La décision de l’occupation est prise en février 2012, lorsque les gentes des associations impliquées (Loire Vivante, Decavipec et Adret Morvan) constatent que des bûcherons et des keufs tentent de commencer des travaux compensatoires, alors que les procédures juridiques de contestation des arrêtés de destruction des habitats sont toujours en cours. Le partage d’expérience de copain.e.s passées par Notre-Dame-des-Landes est aussi décisif pour se lancer ensemble dans la construction de cabanes, dortoirs, balançoires et autres cuisines collectives sur ce bout de terrain.

« On a décidé d’occuper, et l’après-midi même on était une cinquantaine à s’activer pour construire un grand dortoir, un copain est revenu porter d’énormes ballots de paille pour l’isolation avec son tracteur… » La force du mouvement est son fort ancrage local, « qui n’a pas laissé de prise à une stratégie cherchant à monter des « locaux » contre des « opposants comme ça s’est vu sur d’autres zones ». Les assos existantes s’étaient déjà impliquées depuis plusieurs années sur le terrain juridique, l’épluchage des dossiers, et de nombreuses réunions de partage d’informations un peu partout dans les villages. « On l’avait aussi joué stratégique en mettant un peu plus en avant des gens qui vivaient là depuis longtemps, qui étaient agriculteurs, etc… Des gens dont la légitimité de la parole ne serait pas mise en doute. »

La première occupation est d’abord « légale », et se monte sur la prairie prêtée par une soutien de la lutte. Quelque temps plus tard, le pré est retiré après de nombreuses pressions administratives subies par la propriétaire, et les cabanes migrent à quelques centaines de mètres plus haut vers la forêt pour occuper les terrains privés destinés au projet. « Ca a fait peur à quelques personnes, qui n’osaient plus forcément venir directement mais qui continuaient de manifester leur soutien, apporter à manger… Mais dans l’ensemble ça continuait de brasser beaucoup de mondes très différents. Dans le pré puis dans la forêt on s’est découvert beaucoup de choses en commun, malgré nos milieux très différents. »

Pendant la discussion un débat s’engage sur l’importance perçue sur le travail juridique et d’épluchage de dossier. Une copine qui vit sur un territoire proche intervient « ça m’étonne que vous appuyiez tellement dans votre récit cet aspect juridique, car nous par exemple on n’est pas tellement venus aider car on était scandalisés par ce projet précisément, mais pour la vie, la sensation de détermination collective des gens décidés à résister aux travaux, aux flics etc… » Les copain.e.s présents répondent « on sait bien qu’on peut gagner la lutte dans les tribunaux et la perdre sur le terrain, pour nous le juridique n’était pas tellement une fin soi qu’un outil pour créer un rapport de force, et pour construire quelque chose de commun avec les gens localement (partage d’infos etc).

Plusieurs copain.e.s continuent de s’exprimer sur la vie quotidienne et l’occupation, les mots résonnent sous les branches nues du taillis en habits d’hiver, et ils viennent des tripes : « Au début c’était quasiment que des locaux dans le bois, il y avait une moyenne d’âge de 80 ans, c’était fou! ». « Moi j’ai revécu mes 19 ans à Odéon, pendant mai 68. Sauf que c’était en février et qu’il faisait – 10 °C! ». « Y’avait de tout ici, des jeunes, des retraités, des « locaux » des « néo-ruraux », des « rmistes », anarchistes, chasseurs, paysans, etc… Moi je me suis surpris à être accueillant avec pleins de gens que je ne fréquentait pas, à suspendre mes jugements de valeur sur les manières de vivre des autres. Pleins de gens sont venus, il y a même eu des divisions de familles avec des personnes qui venaient ici plus ou moins en cachette… »

Les feuilles mortes continuent de tomber lentement, et le soleil blanc de midi dégivre les prairies. « Ensemble on a pris le temps de rêver, de dépasser le cadre de la forêt et de la lutte contre Erscia. On avait le temps pendant les journées et les nuits, à côté des braseros, dans le dortoir, de se demander ce qu’on foutait là. Quelle vie on veut? Quelle énergie? Quelle alimentation? Quelle éducation pour nos enfants? Quand on partage tout ça, ça réchauffe le cœur. »

Direction Tonnerre (à la vitesse de la foudre) pour les retrouvailles des vélos et la découverte du projet de centrale biomasse (carade).

Après cette chouette discussion on monte dans nos voitures et camions pour se mettre en route direction Tonnerre. Les reliefs bosselés, boisés, bocagers du Morvan laissent lentement places aux larges plaines céréalières et calclaires du pays Tonnerrois dans l’Yonne. Nous arrivons à 14h sur le parking de la gare, en face de la Communauté de Communes, où une vingtaine d’ami.e.s de l’association Arpent nous attendent avec banderoles, mégaphones et chansons!

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Les copain.e.s luttent contre un projet de centrale biomasse associé à un projet de 10ha de serres de tomates industrielles. Le projet, hyper opaque, serpente depuis des années et est relancé à chaque élection à grand renfort de promesses d’emplois « verts », bien entendus. Mais si, mais si, vous savez la forêt, les tomates, c’est renouvelable, tout ça tout ça. L’idée ce serait de fabriquer une centrale à 30 millions d’euros pour produire de l’électricité en brulant 120 000 stères de bois, prélevés sur environ 1000 ha des forêts déjà bien pressurées du pays tonnerrois. Les ami.e.s de l’association demandent des infos depuis des années et se voient opposer des fins de non-recevoir (pour ne pas dire un gros foutage de gueule) de la part des élus/présidents de la Communauté de Communes. « Quand on demande aux élus, ils disent « je ne suis pas au courant demandez au président ». Quand on demande au président il dit « je ne suis pas au courant, demandez à l’investisseur. » L’investisseur en question, un certain M. Pavoine, est à la tête de 23 sociétés allant de Paris, à Brive-la-Gaillarde en passant par l’Albanie (KLP Mines, qui exploite du bitume). Le siège social de la société qui porte le projet de centrale à biomasse – renommée « France Industrie Energie » après s’être appelée « France Industrie Finance » – est situé sur la zone d’activités « Actipôle » de Tonnerre. C’est là-bas qu’on va faire une petite promenade cet après-midi.

Mais avant, les copain.e.s ont prévu d’aller porter en main propre des lettres de demande d’informations aux 70 délégués communautaires de la communauté de commune. Du coup on y va en chansons, sur des reprises du Déserteur de Boris Vian ou de Promenons-nous dans les bois. On se retrouve à 40 dans les couloirs feutrés de la CODECOM et, puisqu’on est bien élevés, on toque à la porte, qui reste fermée. Bizarre, les bureaux sont pourtant censés être ouverts cet après-midi ?

On redescend donc tranquillement dans le hall du bâtiment pour y piqueniquer et le carrelage gris dépressif de la bureaucratie sans âme s’égaye de plats de pâtes, d’humus, d’anchois, de fromages et autres compotées d’oignons. Pendant ce temps là dehors une voiture de keuf arrive et relève quelques plaques. Puis on remballe et on part en convoi sur le futur site du projet de biomasse-carade. On y découvre plusieurs hectares de désert en friche, que traverse une route maillée de dizaines de lampadaires flambant neufs. L’aménagement du site de l’Actipôle a couté 1,6 M d’euros, ça n’a évidemment jamais servi (il y a aussi une deuxième zone industrielle à 2 km d’ici, également vide bien entendu), et il a été revendu 600 000 euros aux promoteurs du projet après déclassement en terres agricoles. C’est là que les promoteurs du capitalisme vert cherchent à se faire des thunes en industrialisant les forêts, sous couvert d’énergie « propre ».

On s’active à renfort de pioches, fourches et bêches pour creuser une centaine de trous et planter nos jolis arbustes pour repeupler ce désert à notre manière. D’autres clouent quelques palettes pour fabriquer « le siège social de Pavoine, qui s’est domicilié ici alors qu’il n’y a absolument rien. » Les keufs, qui se sont fait discrets depuis le début du convoi, ne se font cette fois pas attendre et débarquent à 2, 4, 6, puis 8 véhicules. Ils tentent de prendre nos identités en jouant aux gentils, « on ne va pas vous empêcher de faire votre action, on veut juste savoir qui vous êtes… ». On refuse tous ensemble. S’en suit plus tard un échange rigolo. Le capitaine de gendarmerie s’enquiert de savoir pourquoi ils ont été appelés. « Parce que la CODECOM n’a pas voulu nous recevoir pour leur donner la lettre. » « Ah bon, la CODECOM n’a pas voulu vous recevoir? C’est quand même bizarre, vous devriez y retourner. » « Non, ils ont fait exprès de fermer au public spécialement cet après-midi… » « Ah bon? Eh bien ils manquent de courage. Ils nous ont fait venir à 8 voitures juste pour ça, c’est vraiment n’importe quoi. » Du coup les poulets repartent un peu piteux, sans avoir pu rien faire. Certains tentent de s’occuper en faisant la circulation sur une départementale quasi vide. On rigole bien.

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On repart tous pour rejoindre nos ami.e.s cyclistes, qui arrivent de Montbard et qu’on rejoint à la gare. Ils sont toujours fiers et vaillants et prêts, état d’urgence ou pas, à conquérir la COP dans quelques jours ! Un petit tour chez un caviste du coin qui nous offre sympathiquement un délicieux vin chaud, et direction le Gite de la Parenthèse où nous allons ripailler avec nos hôtes…

Encore une belle journée qui s’achève, les matelas de sols se tendent ça et là, tandis que d’autres vont dormir chez l’habitant. Demain, cap vers Sens, où l’instauration du couvre-feu le weekend dernier dans tout un quartier suite à des perquisitions et la découverte « d’armes », une première du genre, expérimente tranquillement les technique de gouvernement par la peur en temps de guerre intérieure.

Saclay, Paris, nous voilà. Nous sommes toujours aussi déterminés à rejoindre nos ami.e.s des convois de l’Ouest, d’Agen et de Forcalquier le 27 et le 28, malgré les interdictions signifiées au convoi de Notre-Dame-des-Landes de rejoindre l’Ile-de-France puis le plateau de Saclay, malgré la proclamation d’un arrêté de la préfecture d’Eure-et-Loire interdisant toute manifestation sur la voie publique à partir du 27 tôt le matin. Le droit n’est le masque du rapport de force. Dans l’état d’exception permanent dans lequel nous vivons, que l’état d’urgence ne fait que rendre plus immédiatement sensible, le pouvoir s’exerce directement, avec une parodies de médiations juridiques, pour réprimer, sous couvert de « sécurité », toute volonté de contestation et d’invention d’autres mondes. Nous ne sommes pas dupes.

État d’urgence, état policier, vous ne nous empêcherez pas de manifester ! Sus à la COP et à son monde !

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